J’ai longuement été hanté par l’image de routes et de sentiers dans une nuit mate et ancestrale. La persistance de cette vision m’a projeté, longtemps après le coucher du soleil, au devant de cheminements nocturnes, à la lumière dérisoire d’une lampe de poche. À la recherche de ces images.
Sur ces pistes plongées dans le noir, le marcheur ne connaît pas son horizon. L’avenir se refuse à lui dans une visibilité réduite, obtuse et même anxiogène. Rien ne semble exister au-delà des contours dessinés par le faisceau de la torche. Néanmoins, comme à une grande profondeur dans des abysses où la lumière ne parvient pas, la progression se fait, lentement, comme un acte de foi, animée par la certitude de trouver derrière cette obscurité la continuité du chemin toujours renouvelée. Et à chaque pas, l’incertitude de ce qui va émerger de l’ombre est vaincue, à mesure que se déplie devant nous la suite de notre trajet.
Ce voyage ne connaît que son opiniâtreté à continuer. Apparaissent dans cette irrésistible poussée vers l’inconnu des formes telluriques, les ombres d’animaux fantastiques, d’invisibles croisées de chemins et une fascination mêlée d’une peur ancienne. Car à chaque avancée, se repose la question. Celle de risquer un pas de plus quitte à découvrir que rien n’émerge plus du néant. La peur de l’inconnu, celle de trébucher, de voir se terminer le sentier opposent à notre envie d’avancer un doute glaçant qu’il faut savoir combattre.
Attendre l’éclaircie qui viendrait lever ce doute, qui viendrait illuminer pour nous la suite du chemin d’une révélation décisive est une illusion séduisante mais funeste qui tente le marcheur d’un immobilisme rassurant mais vaincu. Car arrêté, nous sommes sans défense contre ces ténèbres qui progressent alors vers nous, réduisant le champs des possibles jusqu’à l’extinction de notre source de lumière.
Finalement, il apparaît clair que l’enjeu est là. Plus que l’exploration de la suite du chemin, plus que l’hypothèse d’une destination, il s’agit de faire survivre en nous le mouvement. Dès lors, il convient d’embrasser l’incertitude, de contempler sereinement l’inconnu, de se résoudre à cet avenir irrésolu et de ne pas cesser cette progression à tâtons dont la petite flamme minuscule, seule, continue à éclairer pour nous la nuit du monde.